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Hydrogène : un gaz qui ne manque pas d’air ?

A première vue, l’hydrogène semble être une révolution sur le plan énergétique : il n’émet pas de carbone lorsqu’il est utilisé comme carburant et ne rejette que de la vapeur d’eau. Il peut stocker de l’énergie, fournir de l’électricité et peut être transporté, qu’il soit sous forme de gaz ou de liquide. Mais qu’en est-il réellement de ce gaz et pourquoi fait-il autant l’objet de débats intenses entre les défenseurs de l’environnement et les géants des hydrocarbures ?

 

Alors que la 46ème édition du fameux Rallye-Raid débute en Arabie Saoudite, il est d’ores et déjà question des nouveautés du Dakar 2024. Parmi ces changements, on constate que la problématique environnementale, avec l’hydrogène en particulier, commence à prendre une place prépondérante dans l’une des plus célèbres courses au monde.

Le Japon a annoncé l’adoption de véhicules utilisant une pile à combustible à hydrogène à l’occasion du challenge Mission 1000, capable de gagner le Dakar en 2024 sans émettre de CO2. Intégré au programme Dakar Future, le challenge Mission 1000 est une épreuve organisée en marge du Rallye. Véritable laboratoire sur roue, elle vise à permettre aux constructeurs d’expérimenter leurs technologies alternatives dans des conditions particulièrement difficiles.

Il s’agit là d’un projet à l’image du défi que s’est lancé le comité du Dakar : transformer ce rallye parfois controversé en un événement sportif engagé dans la cause environnementale. Pour cela, les organisateurs de Dakar parlent d’obliger l’ensemble de ses participants à concourir en utilisant l’hydrogène à partir de 2030.

 

De la fabrication à son utilisation : l’hydrogène sous toutes ses formes

 

Contrairement à ce qu’on peut penser à première vue, l’hydrogène n’est pas une source d’énergie comme le solaire ou le nucléaire, c’est un vecteur énergétique. On peut en trouver sous différentes formes.

Il existe l’hydrogène gris. Il est issu des énergies fossiles, des hydrocarbures, du charbon ou du gaz naturel. Actuellement, 95% de l’hydrogène est produit à partir d’énergie fossile polluante. Selon l’AIE (The Future of Hydrogen, 2019) en 2018, 41% de l’hydrogène est issu de la coproduction. C’est-à-dire, que de l’hydrogène est extrait involontairement à partir d’activités industrielles (sidérurgie et raffinerie). Le restant est produit à partir de reformage de méthane et de la gazéification du charbon (notamment en Chine). On estime que la production d’hydrogène est responsable de l’émission de 830 millions de tonnes de CO2 en 2019, soit 2% des émissions totales. Il y a aussi l’hydrogène bleu ; il est issu du même procédé mais ne pollue pas autant que le gris car son CO2 est capté et stocké. Enfin, on a l’hydrogène vert, produit à partir d’énergie renouvelable. Il représente à ce jour l’un des espoirs de l’objectif zéro-carbone d’ici 2050.

L’hydrogène doit être produit à partir d’une autre source d’énergie et n’existe pas à l’état brut dans la nature : il faut donc l’extraire à partir d’autres éléments. La molécule H2O est composée de deux molécules d’hydrogène et d’une molécule d’oxygène. Pour arriver à produire de l’hydrogène, on emploie ce qu’on appelle une électrolyse. Pour expliquer de façon simplifiée, il s’agit d’un courant électrique injecté dans l’eau provoquant une dissociation des molécules et permettant la récupération du dihydrogène. Ce processus génère alors une énergie chimique qui se convertit en énergie électrique grâce à une pile à combustible.

Une avancée significative dans le secteur énergétique

 

La combustion d’un kilo d’hydrogène libère près de trois voire quatre fois plus d’énergie qu’un kilo d’essence. De plus, l’hydrogène permet d’apporter une solution à trois problèmes distincts : le stockage, la décarbonisation des secteurs du transport et de l’industrie ainsi que la satisfaction d’une demande croissante en électricité.

Les Etats voient ce gaz comme une nécessité pour atteindre l’objectif du zéro-carbone d’ici 2050 et investissent en masse dans ce secteur.

La France a débloqué 1,5 milliard d’euros et veut investir plus de 7,2 milliards d’euros d’ici 2030 pour l’hydrogène décarbonisé. Leur premier objectif concerne le développement d’infrastructure industrielle dédiée aux électrolyseurs avec pour but la production de 600.000 tonnes d’hydrogène vert par an d’ici là. Le cours de bourse du spécialiste Français en équipement de production et de distribution d’hydrogène, McPhy Energy, semble être le reflet parfait de cet engouement pour l’hydrogène : son cours a augmenté de plus de 740% en un an. L’entreprise a d’ailleurs effectué au mois de décembre son entrée au sein des indices SBF 120 et Cac Mid 60.

De son côté, l’Allemagne a annoncé en 2020 un investissement de 9 milliards d’euros pour ce secteur. Elle lance notamment la construction de 400 stations de rechargement à pile à combustible pour les voitures électriques en 2023.

Toyota, leader des véhicules hydrides, vient s’ajouter à cette liste d’actions en Europe avec son projet : le Hydrogen Mobility Europe (H2ME) visant à développer le premier réseau européen de stations de ravitaillement en hydrogène. L’objectif de ce projet consiste donc à commercialiser ensuite ses modèles de voiture hydrogène tel que le Toyota Mirai.

De l’autre côté de l’Atlantique, Joe Biden parle même dans son programme présidentiel de mettre en place un réseau 100 % énergie verte en seulement 15 ans. C’est une proposition extrêmement ambitieuse pour un candidat plutôt raisonnable alors qu’on parlait jusqu’ici d’un calendrier plus progressif de 30 ans. L’hydrogène contribuerait notamment à rendre ce délai possible.

 

Une réponse concrète face au problème du stockage d’énergie

 

Contrairement aux autres énergies renouvelables telles que l’éolien et le photovoltaïque, l’hydrogène apporte une réponse au problème de stockage. En effet, certaines énergies vertes ne peuvent produire de l’électricité qu’à la condition d’avoir une météo favorable et indépendamment des besoins en énergie. Lorsqu’on en produit plus que nécessaire, les batteries actuelles ne permettent pas de stocker ce surplus sans en perdre une quantité conséquente. L’hydrogène, en tant que vecteur électrique, se positionne comme solution à ce problème.

 

Côté transports

 

L’hydrogène, créé à l’aide d’un réseau zéro émission, semble également prometteur, voire indispensable concernant la décarbonisation du secteur des transports. Ainsi, on peut déjà constater que l’industrie mondiale des transports, que ce soient avec l’aide de jeunes entreprises ou de constructeurs automobiles déjà bien établis, contribue avec enthousiasme au développement des véhicules à hydrogène. Parmi eux, on peut citer l’américain Nikola, le sud-coréen Hyundai, le japonais Toyota ou encore l’allemand Daimler.

Une seule poignée d’hydrogène pourrait permettre à un véhicule de parcourir une centaine de kilomètres. C’est l’une des raisons pour lesquelles les constructeurs automobiles sortent chacun leur tour leur premier véhicule fonctionnant à l’hydrogène.

Le Toyota Mirai est le premier modèle hydrogène proposé par la marque et fait la promesse d’une autonomie allant jusqu’à 650 kilomètres. Contrairement aux véhicules électriques traditionnels, le rechargement de ce type de voiture ne nécessite que 5 minutes et se vend entre 60.000 et 72.000 euros. Ce type de voiture fonctionne similairement avec le système de l’électrolyse : un réservoir d’hydrogène alimente une pile à combustible qui, par la rencontre entre l’hydrogène et l’oxygène, produit de l’électricité et ne rejette que de l’eau. Celle-ci alimente alors le moteur électrique.

 

 

 

 

 

En France, Michelin et Faurecia ont annoncé en 2019 la création d’une co-entreprise, Symbio, spécialisée dans l’hydrogène, bénéficiant de 140 millions d’euros au démarrage. Celle-ci a pour but la production de piles à combustible nouvelle génération en grande quantité. Leur objectif : détenir 25% du marché mondial de la mobilité à hydrogène d’ici 2030.

Faut-il pour autant se détourner des véhicules électriques en faveur de l’hydrogène ? Non, selon Elon Musk pour qui la pile à combustible représente une perte d’énergie considérable face à l’efficacité de ses batteries. De plus, elle reste pour le moment très coûteuse et trop volumineuse. Il faudra donc attendre que la technologie fasse évoluer les piles à combustible afin de rendre plus accessible les véhicules à hydrogène au grand public.

Par ailleurs, Tesla et Panasonic ouvrent conjointement une usine de batteries dans l’ouest des Etats-Unis afin de faire diminuer le prix de leurs batteries. Le secteur des véhicules électriques conserve donc une nette avance sur l’hydrogène, sans compter le développement accru des stations de rechargement électrique partout aux Etats-Unis et en Europe.

Bien que l’hydrogène ne semble pas pouvoir révolutionner le secteur automobile pour le moment, il reste cependant très prometteur concernant le secteur des transports « lourds ». En effet, les bateaux, les avions ou encore les camions se présentent comme candidats idéaux dans la course à l’hydrogène car ils requièrent plus d’énergie que ce que les batteries actuelles peuvent fournir du fait de leurs trajets longue distance et de leurs poids.

Côté américain, Nikola Motor, créé en 2014 et introduit en bourse sur le Nasdaq depuis peu, affiche déjà une capitalisation à hauteur de 13 milliards de dollars en septembre 2020. Cette entreprise spécialisée dans la construction de véhicules lourds à propulsion alternative n’a pour autant pas encore commercialisé ses véhicules.

Côté européen, le groupe Daimler Trucks a présenté en 2020 son Mercedes GenH2. Equipé d’une réserve d’hydrogène contenu sous forme liquide à une température minimale de -253°C, ce tout premier camion à hydrogène fait la promesse d’une autonomie de 1.000 kilomètres et compte deux moteurs électriques, eux-mêmes reliés à deux piles à combustible contenant jusqu’à 40 kilos d’hydrogène liquide.

Les transports en commun sont également en première ligne sur le sujet. En 2020, le premier train à pile à combustible, le Coradia iLint, a passé avec succès les tests d’exploitation. Son constructeur Alstom s’est déjà engagé auprès de plusieurs pays européens afin d’étendre et d’équiper le reste du réseau ferroviaire européen en train à hydrogène.

 

 

Côté aéronautique, le gouvernement français fixe comme objectif le lancement du premier avion à hydrogène zéro émission avant 2035. Guillaume Faury, PDG de Airbus a annoncé en septembre 2020 sa stratégie afin de commercialiser l’appareil dans les temps et qualifie le projet « d’axe stratégique prioritaire ». Il rappelle aussi qu’Airbus utilise déjà des systèmes propulsifs à hydrogène pour son équipement spatial et se tient prêt à relever le défi.

 

Côté industrie

 

L’hydrogène se présente actuellement comme la meilleure alternative énergétique pour les industries les plus gourmandes dans le cadre de l’objectif zéro carbone. L’hydrogène pourrait en effet alimenter les industries lourdes, comme la production d’acier, qui nécessitent des températures particulièrement élevées.

L’un des avantages de l’hydrogène est la production de très haute chaleur. Cela le place donc comme alternative idéale au charbon ou au gaz pour les entreprises de sidérurgie. Ce procédé est déjà utilisé via le projet Hybrit en Suède : leur système permet de produire une tonne de fer tout en émettant seulement 25 kilos de CO2 contre 1.850 kilos pour la moyenne mondiale.

D’après une étude de Bloomberg New Energy Finance, utiliser l’hydrogène dans les industries du ciment et de l’acier pourrait faire économiser chaque année entre 3 et 4 giga tonnes de CO2, soit 10% des émissions actuelles.

Les compagnies pétrolières s’intéressent également de près à cette ressource énergétique. Elles sont d’ailleurs les plus à-même de faire face aux défis que requiert encore l’exploitation d’hydrogène. Par exemple, elles sont habituées au problème du développement d’infrastructures. L’intérêt de ces compagnies est également de diversifier leur production et de se tourner vers plusieurs énergies.

Plus de 140 multinationales ont rejoint le Hydrogen Council en 2022, parmi lesquelles on peut noter Airliquide, Engie, JXTG, Shell, Siemens, Total, BP, plusieurs constructeurs automobiles ainsi les trois plus grandes banques Françaises (BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole). Elles s’engagent à faire de l’hydrogène un élément clé dans la transition énergétique. Pour cela, elles ont pour le moment investi 1,5 milliard de dollars en 2017 et comptent faire gonfler ce chiffre dans les années à venir. Selon leur rapport publié il y a trois ans, les avancées technologiques dans le secteur de l’hydrogène pourrait permettre de satisfaire 18% des besoins énergétiques mondiaux à condition de pouvoir investir 280 milliards de dollars.

 

De nombreux défis auxquels il faut encore faire face

 

§  Un secteur encore trop polluant ?

 

Autre caractéristique de l’hydrogène : c’est un gaz 11 fois plus léger que l’air et c’est aussi l’élément le plus léger de l’univers. Le stockage d’hydrogène implique donc l’occupation de grands volumes. Cependant, il est possible d’augmenter sa densité via un processus de liquéfaction rendu possible via une très forte pression ou une réfrigération en dessous de -250 degrés. Ces deux moyens sont si coûteux que les industriels en viennent à contourner ce problème en convertissant l’hydrogène en ammoniaque ou en méthane, bien connu pour leur caractéristique polluante.

 

§  Des besoins en infrastructure incommensurables

 

Pour produire l’intégralité de l’hydrogène qu’on utilise aujourd’hui par électrolyse, il faudrait 3.600 TWH (térawatt/heure) d’électricité supplémentaire : soit l’équivalent de la production de l’électricité de l’Union Européenne.

Au-delà du développement des infrastructures consacrées aux électrolyseurs, il est absolument indispensable d’augmenter la production d’énergie verte dédiée à leur alimentation. En effet, le rendement de production d’électricité à base d’hydrogène est de 35% (RTE La transition vers un hydrogène bas carbone, 2020). Autrement dit, il faut 100 unités d’électricité pour produire de l’hydrogène produisant de son côté 35 unités d’électricité. L’hydrogène se présente donc davantage comme un moyen de stockage d’électricité plutôt qu’un moyen de production.

Il faut encore augmenter le réseau et développer les stations à hydrogène. Cela nécessite une concertation européenne pour rouler sur tout le continent et pour assurer l’équilibre financier de ces stations de rechargement.

 

L’hydrogène n’est pas une solution à lui seul

 

Le prix pose encore un problème concernant le développement de l’hydrogène décarbonisé. Lorsqu’on compare les coûts de production d’un kilo d’hydrogène, on constate que le gris est trois fois moins cher à produire que le vert (5 euros par kilo). Les industriels travaillent donc pour réduire cet écart d’ici 2030, notamment en faisant chuter le prix de l’électricité renouvelable. L’autre moyen qui existe consiste à dissuader les entreprises d’utiliser les énergies fossiles ou polluantes dans la production d’hydrogène. Pour cela, on peut mettre en place une réglementation et une taxation des énergies fossiles afin d’orienter les industries vers la zéro émission carbone.

Ainsi, face à une demande en énergie et à des besoins en stockage en croissance, l’hydrogène se positionne comme élément indispensable à la transition écologique. Malgré les certaines difficultés qu’il présente encore, les nombreux investissements faits aujourd’hui vont permettre à cette ressource énergétique de rattraper le retard qu’elle a pris sur l’électrique et de décarboniser les secteurs les plus gourmands en CO2.

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