Octobre 2018. À la suite d’une augmentation significative des prix à la pompe et du projet de taxe carbone de 3 centimes sur le gazole, le mouvement des « Gilets Jaunes » trouve sa genèse et de nombreuses manifestations sont alors organisées à travers la France, en guise de protestation. Mouvement qui n’a trouvé d’essoufflement finalement qu’à l’arrivée de la crise sanitaire début 2020.
Pourtant, les prix de nos carburants n’ont quasiment jamais cessé de grimper depuis, faisant l’objet de nombreuses polémiques, alors qu’il a pu parfois largement dépasser les 2 euros le litre d’essence.
Alors qu’en 2008, le prix du baril avait atteint un pic à 147 dollars, les prix à la pompe étaient restés largement raisonnables pour le portefeuille des Français : le diesel était à 1,50 euro tandis que l’essence 95 plafonnait à un peu plus de 1,60 euro. Mais alors, d’où vient cette augmentation ? Comment se fait-il qu’avec un baril à 100 dollars les prix à la pompe aient flambé jusqu’à plus de 2 euros le litre ?
DÉCORTICATION DU PRIX À LA POMPE
Le prix du carburant à la pompe prend en compte plusieurs facteurs : celui de la matière première elle-même, naturellement, mais à laquelle viennent s’ajouter la marge de raffinage, la marge de distribution et les taxes.
La marge de raffinage n’était guère élevée en 2008, tandis qu’en 2022 elle a atteint 22$/bbl (baril) en avril avec une moyenne de 13,5$/bbl sur l’année 2022, un montant qu’il faut donc venir incrémenter (ou soustraire, les marges de raffinages peuvent être négatives) au prix du baril. En effet, certaines raffineries avaient été mises à l’arrêt lors de la crise sanitaire, et la demande a logiquement explosé une fois la crise passée. On notera par ailleurs que le conflit géopolitique en Ukraine n’a pas arrangé les choses, avec la politique de sanctions contre la Russie en termes d’embargo sur les matières premières en général, et le pétrole en particulier.
Le graphique comparatif ci-dessus montre une corrélation très étroite entre l’évolution des prix du carburant à la pompe et ceux du baril de Brent sur les trois dernières années.
Aussi, avant d’arriver à la pompe, et donc dans nos véhicules, le pétrole suit un long chemin :
- En premier lieu, le litre de sans-plomb ou de gazole est en grande partie composé de pétrole brut, le premier coût à venir dans la balance est celui de la production de pétrole.
- S’ensuit l’étape du raffinage, où la matière première subit de nombreux traitements pour obtenir les produits pétroliers : essence, gazole, carburants aviations, lubrifiants, fiouls, bitumes. La marge brute de raffinage sur Brent correspond à la différence entre le prix du brut (coté à Londres) et la valorisation d’un panier représentatif de produits pétroliers (cotés à Rotterdam).
- Enfin, il y a la marge de distribution du carburant de la raffinerie jusqu’à la pompe qui est la différence entre les prix de vente HT des produits pétroliers au consommateur et les cotations des produits raffinés. Elle correspond au transport, au stockage et à la marge du distributeur.
D’AUTRES FACTEURS À PRENDRE EN COMPTE
Le prix du produit ne représente que 50% du prix total à la pompe, comme illustré sur ce graphique d’Energia :
On constate ainsi que les droits d’accises correspondent aux impôts indirects perçus sur l’utilisation de produits énergétiques et sont la deuxième part la plus importante du prix final. A leur taux le plus élevé, ces droits avaient atteint 65 cents par litre sur le diesel, même avec les réductions octroyées par l’état. Parmi les différents carburants, il n’y a que sur le SP98 que ces droits baissent depuis 2008, passant de 61 cents à 47 à l’heure actuelle. La troisième part importante du prix est la TVA, qui n’a pas été ramenée à 6% comme pour l’électricité, mais est bien restée à 21%.
Le prix de nos carburants n’est pas indexé directement sur le baril, mais sur le gazole raffiné sans les prix de fret. Le taux de change entre l’euro et le dollar est venu bousculer les choses : le pétrole étant acheté en dollars, la faiblesse de l’euro contre la monnaie américaine a donc pénalisé les portefeuilles de l’hexagone et, plus généralement, ceux de l’Europe. La Banque de France considère qu’il faut une semaine pour ressentir l’augmentation et qu’au bout de 20 jours, elle est complètement intégrée dans les prix.
CERTAINES STATIONS A SEC
Depuis quelques semaines, de nombreuses stations essence sont en manque de carburant dans la plupart des régions de France, le gouvernement reconnait des tensions dans l’approvisionnement. La remise de 20 centimes octroyée par TotalEnergies à la pompe aurait attiré une forte affluence d’automobiliste, s’ensuit aussi des mouvements de grèves dans les raffineries, notamment le site de Normandie qui représente à lui seul 22% du raffinage dans le pays. Il semblerait qu’il n’y ait pas de visibilité sur combien de temps cette situation va durer, mais TotalEnergies a assuré se mobiliser pour réapprovisionner le réseau avec des moyens logistiques supplémentaires.
Il existe donc bien un lien entre prix du baril et prix à la pompe. En effet, le prix des matières premières et les taxes sont les deux facteurs les plus déterminants dans le prix à la pompe. De son côté, l’euro, qui continue de s’affaiblir face au dollar, contribue encore à augmenter le prix du plein des automobilistes européens.
NOS QUESTIONS A ARIANE CHASSAGNETTE
Ingénieure et analyste stratégie O&G chez Total pendant 17 ans
1/ Qu’est-ce qui intervient dans la fabrication du carburant que l’on met dans nos voitures ?
Le carburant de nos voitures est l’un des nombreux produits dérivés du pétrole, obtenu par différents traitements de raffinage. Le pétrole brut est la seule matière première entrant dans leur fabrication. Le pétrole brut est d’abord porté à haute température et traité dans une colonne de distillation, qui va permettre de séparer les différentes coupes pétrolières qui feront la base des produits que l’on connait : gaz propane et butane, solvants, carburants, fiouls, lubrifiants, bitumes. Les coupes essence et gazole se trouvent dans ce qu’on appelle le « haut du baril », c’est dire qu’elles sont constituées de molécules légères, et sont liquides à température ambiante. Plus on va vers le « fond du baril », plus les molécules sont complexes et lourdes, et les produits visqueux voire solides à température ambiante.
Les carburants sont des produits dits de « commodité », c’est-à-dire que le produit doit présenter les mêmes caractéristiques quels que soient le fournisseur et l’endroit où on l’achète. Leur qualité est normalisée au niveau européen, en matière de propriétés physico-chimiques mais aussi de normes environnementales. Les coupes pétrolières après la première étape de distillation vont subir des traitements visant à en extraire les molécules à l’origine de la pollution atmosphérique, en particulier les composés soufrés et azotés (à l’origines des émissions de SO2 et NO2). Ces traitements consistent essentiellement à casser les plus grosses molécules pour en faire des plus petites adaptées aux besoins de fonctionnement des moteurs, ou à provoquer des réactions chimiques avec de l’hydrogène pour éliminer les molécules qui contiennent les polluants.
On obtient alors des produits intermédiaires appelés base essence et base gazole. La dernière étape de fabrication consiste à y ajouter un certain nombre d’additifs, qui permettent d’en améliorer les propriétés comme la stabilité, la tenue au froid, la lubrifiance ou encore les performances de combustion.
Après cette dernière étape de formulation, les carburants sont prêts à être livrés aux stations-services.
2/ Quelles sont les différences en matière de production entre le gazole et l’essence ? Entre le SP95 et le SP 98 ?
Le gazole et l’essence sont deux coupes pétrolières qui se situent dans le « haut du baril », le gazole étant une coupe un peu plus lourde que l’essence, c’est-à-dire qu’elle contient des molécules globalement plus lourdes, plus longues, plus complexes. Il est à noter qu’entre la coupe essence et la coupe gazole se trouve la coupe kérosène, qui sert à fabriquer le carburant des avions, le Jet A1.
A l’issue de la première distillation du pétrole brut, les coupes essence et gazole sont séparées et vont subir des chemins différents dans plusieurs unités de la raffinerie, avec des étapes de traitement adaptées pour chaque coupe.
La différence entre le SP95 et le SP98 est l’indice d’octane. Il s’agit d’un indicateur de performance de la combustion dans le moteur. Les essences contiennent des composés appelés alcanes dont l’heptane et l’octane. Ces deux molécules sont importantes car elles ont des effets sur le bon fonctionnement du moteur. Tandis que l’heptane a tendance à favoriser l’auto-inflammation de l’essence, l’octane au contraire la diminue. Or, dans un moteur, on souhaite diminuer le phénomène d’auto-inflammation, c’est-à-dire qu’on veut que le mélange air/carburant s’enflamme de façon contrôlée dans le piston, pour des raisons de performance énergétique, mais aussi de protection des éléments mécaniques.
Le procédé de fabrication de l’essence permet de contrôler l’indice d’octane du carburant, en conformité avec les normes européennes. Le SP98 a un indice d’octane plus élevé que le SP95, le phénomène d’auto-inflammation est plus faible, la combustion optimisée, ce qui permet une consommation moindre et une meilleure protection du moteur. On peut mélanger indifféremment SP95 et SP98 quand on fait le plein. A noter que les additifs au plomb avaient pour rôle d’augmenter l’indice d’octane de l’essence. Depuis leur interdiction (essence sans plomb), les raffineurs ont dû développer des procédés permettant d’atteindre autrement la spécification d’indice d’octane.
3/ Comment est indexé le prix de nos carburants en fonction des cours du pétrole ?
Le pétrole étant la matière première de fabrication des carburants, son prix va influencer le prix du carburant à la pompe. Il entre pour 30 à 50% environ dans le prix final du litre de carburant.
Il est donc important, mais pas majoritaire, d’autres éléments interviennent dans la structure de prix du carburant.
- La marge brute de raffinage : il s’agit d’un indicateur financier qui correspond à la différence entre le prix du brut (coté à Londres) et la valorisation d’un panier représentatif de produits pétroliers (cotés à Rotterdam). Elle correspond à l’ensemble des coûts qui interviennent pour le raffineur dans la fabrication des carburants : énergie, maintenance, masse salariale, matériaux, etc.
- La marge brute de distribution, de la raffinerie jusqu’à la pompe : c’est la différence entre les prix de vente HT des produits pétroliers au consommateur et les cotations (à Rotterdam) des produits raffinés. Elle correspond aux coûts de transport, de stockage (en dépôt et en station) et à la marge du distributeur.
- Les taxes : TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) et la TVA à 20% (prix avec TICPE compris)
- Le taux de change euro-dollar a aussi un impact puisque le brut est coté et acheté par le raffineur en dollar, tandis que les produits raffinés sont cotés et vendus en euro. Un dollar haut pénalise le prix à la pompe.
4/ Quels sont les facteurs actuels qui peuvent créer des pénuries à la pompe ?
Il existe peu de risque de pénurie réelle de carburants à la pompe. Ce qu’on observe actuellement sont des ruptures partielles en stations, essentiellement liées aux comportements des consommateurs. Plusieurs explications à cela.
Tout d’abord, la ristourne exceptionnelle de 20 centimes par litre mise en place par TotalEnergies depuis le 1erseptembre 2022 a attiré un flux inhabituel d’automobilistes vers les stations du groupe pétrolier (son PDG Patrick Pouyanné parlait d’une hausse de fréquentation de 40% fin septembre par rapport à la même période l’an dernier), tandis que leurs capacités de stockage est restée constante. Même si la fréquence des approvisionnements a été augmentée, elle ne permet pas d’éviter l’effet de manque. Dans le même temps, les autres distributeurs confrontés à une baisse des volumes de vente, ont diminué leurs stocks, ce qui a pour effet d’accentuer encore l’effet de manque ou l’impression de pénurie, lorsque les consommateurs n’arrivant pas à faire leur plein chez TotalEnergies, se retournent vers les concurrents, où les cuves se retrouvent vidées plus rapidement. Un mécanisme de cercle vicieux se met en place, plus les gens craignent de manquer, plus ils cherchent à remplir à plein leur réservoir, anticipant une hypothétique pénurie future : le fameux phénomène de la prophétie autoréalisatrice.
Concernant les mouvements de grève actuels dans certaines raffineries depuis une dizaine de jours, il est pour le moment faux d’affirmer qu’ils ont un impact sur les livraisons en stations. En effet, comme pour le pétrole et le gaz, la France dispose pour les carburants de stocks stratégiques (stocks SAGESS) correspondant à 90 jours de consommation. Le recours à ces stocks est contrôlé par l’Etat. De plus, si la situation devait devenir préoccupante pour l’approvisionnement des stations, les préfets ont la possibilité de réquisitionner l’outil de raffinage, c’est-à-dire ordonner le redémarrage de la production. Cependant, la communication faite par de nombreux médias autour des grèves a pour conséquence d’aggraver l’effet de manque et les comportements irrationnels déjà mentionnés plus haut.
5/ Quels véritable enjeu avec la situation russo-ukrainienne ?
Les enjeux du conflit en Ukraine sur les hydrocarbures concernent essentiellement le gaz, comme cela a été beaucoup commenté. Néanmoins d’autres produits sont concernés. En effet, les raffineurs européens achetaient aussi du pétrole russe et des produits intermédiaires appelés distillats (pour la fabrication du gazole et du fioul domestique). Les sanctions européennes à l’égard de la Russie ont contraint les industriels à réorganiser autrement leurs approvisionnements. La baisse d’offre de pétrole par rapport à la demande a eu pour effet de faire grimper le cours du Brent, indicateur de référence du prix du pétrole pour la zone Europe, augmentant mécaniquement le prix des produits pétroliers, carburants mais aussi fioul domestique.
Par ailleurs, concernant le gaz, les enjeux se situent dans la capacité des pays européens dépendant du gaz russe (Allemagne au premier plan, France dans une moindre mesure) à convertir leur approvisionnement de gaz vers des contrats long terme de GNL (Gaz Naturel Liquéfié), en provenance des Etats-Unis en particulier, et à construire dans les meilleurs délais les terminaux de regazéification nécessaires.
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